Le choix de vie de Meslier était d’aider les paysans et les pauvres, ses paroissiens qu’il aimait. Dans la mesure de ses moyens, dans son univers villageois –chose rare que l’on sait sur sa vie–, il a combattu en 1716 l’arrogante injustice du seigneur local qui les méprisaient. On sait aussi que l’archevêque, confirmant l’indéfectible collusion de l’Église avec l’aristocratie, l’a muselé, annihilant ses efforts, et ses espoirs, rendant vaine toute tentative de contestation. Le hobereau local triomphait, l’ordre féodal avec lui : la bataille était perdue pour le curé Meslier.
Désormais, il s’agira, non de tenter d’en remporter d’impossibles autres, locales, limitées, personnelles. Mais de gagner la guerre. La guerre contre l’oppression féodale elle-même.
Abattre l’oppression, et donc abattre la féodalité. Et comme la féodalité est bénie par l’Église : abattre l’Église. Et puisque l’Église se fonde sur la religion : abattre la religion. Et parce que la religion a pour « fonds de commerce » Dieu : abattre Dieu !
Telle est la motivation qui anime Jean Meslier, tel est son programme, tel est son but. Alors que sur le siècle des Lumières, l’aube ne s’était pas encore levée, du fond de sa cure, des profondeurs paysannes de l’Ancien Régime, le curé Jean Meslier va désormais écrire. Pour éclairer le monde. Pas celui des puissants, des nantis : celui du peuple travailleur, des masses laborieuses, des laissés pour compte de l’histoire, des « damnés de la terre ».
Pour en finir avec la féodalité, en conformité avec son programme, il se pose comme tâche de démontrer d’abord que Dieu n’est pas, que le monde et la vie existent sans lui, s’expliquent sans lui : « les hommes, note-t-il, ne seront pas sans doute toujours si sots et si aveugles qu’ils sont au sujet de la religion, ils ouvriront peut-être quelque jour les yeux et reconnaîtront peut-être tard que ce fut leurs erreurs». Il le fait seul, « tout faible et tout petit génie que je puisse avoir », écrit-il « à ses paroissiens » et « à tous leurs semblables ».
Ses démonstrations, argumentées, implacables, incontestables dans leur rationalité, il les consigne dans un Mémoire, celui de ses « pensées et sentiments ». Il le rédige dans les dernières années de sa vie, à l’ombre de sa cure, le copie et le recopie trois fois au moins. Mais il ne le dévoile pas de son vivant. Il le lèguera à la destinée posthume.
Meslier n’avait pas l’âme d’un martyr et aimait la vie. Aurait-il révélé son Mémoireque l’attendaient, au mieux les routes de l’exil et le vagabondage, si ce n’est le bûcher pour lui et ses écrits et les supplices féodaux que la répression infligeait, avec la délicatesse que l’on sait. Au début du XVIIIe, on brûlait ceux qui se proclamaient ouvertement mécréants. Près de quarante ans après que Meslier se soit éteint, en 1766, le chevalier de La Barre est supplicié et brûlé pour bien moins que cela.