Etrépigny un village très très frontalier de 1664 à 1729
Etrépigny est situé dans les Ardennes françaises. A l’époque de Meslier, la Meuse (1), de Mouzon à Mézières, y servait de frontière nord (sous Louis XIII) et par intermittence (depuis 1681) entre le royaume de France, dont Etrépigny fait partie, et les Pays-Bas espagnols (Belgique actuelle) qui devinrent Autrichiens en 1713 lors du traité d’Utrecht mettant fin à la guerre de succession d’Espagne. A l’est des Ardennes, le duché de Lorraine était indépendant mais sous l’allégeance du Saint Empire romain germanique. Sur la rive droite de la Meuse, on est en Espagne (par la suite en Autriche) et sur la rive gauche en France. Au fur et à mesure des temps, soit par héritage, achat de seigneuries ou conquêtes, certains villages sont passés de l’un à l’autre pays. C’est le cas de Flize (à 2km d’Etrépigny) qui sera possession espagnole (puis autrichienne) jusqu’au traité de Bruxelles en 1769. Etrépigny, à l’époque de Meslier est en limite de la France dans un pays aux limites très fluctuantes.
Politiques du pré carré et des réunions
Louis XIII et surtout XIV, avec Vauban, par leur politique du « Pré carré » consistant à assurer et régulariser la frontière du nord pour ce qui nous concerne, avaient en 1629 acquis la principauté indépendante de Château-Regnault. En 1642, ce fut le tour de celle de Sedan. Par la paix de Nimègue en 1648, le territoire français acquiert la pointe de Givet et en 1660 au traité des Pyrénées, le pays de Linchamp. La politique des « réunions » de Louis XIV qui suivra entraînera encore plus de désastres dans la région. Et il reste encore beaucoup d’enclaves espagnoles comme le duché indépendant de Bouillon et la principauté libres d’Arches tous deux d’allégeance à la France et quelques seigneuries. Les rois de France renforcent les citadelles de Mouzon, de Mézières, de Givet et celle de Rocroi qui par sa célèbre bataille (2) en 1643 laisse encore beaucoup de traces dans les villages ardennais devant toujours payer à cette ville une contribution spéciale pour son redressement.
D’autres frontières existent
Ce sont celles des archevêchés de Reims (3) au sud (dont Etrépigny fait partie), de Liège au nord (avec Mouzon) et de Verdun à l’est qui se rejoignent dans les Ardennes, frontières, là aussi, avec des territoires enclavés qui seront la cause de nombreux coups de mains de la part des évêques qui sont aussi de grands seigneurs pour assurer leurs territoires et qui marqueront la population.
Ces régions frontalières sont le théâtre, sous Louis XIII et Louis XIV, sources de nombreux conflits, batailles et coups de mains dont pâtissent les habitants dans leur mémoire collective ou dans leur quotidien.
Les 40 années de sacerdoce de Meslier à Etrépigny seront marquées par 21 années de guerres déclarées(4)… Et entre temps, il fallait héberger, ravitailler les quelques 100 000 soldats dispatchés entre Dunkerque et Strasbourg et subir les pillages des mercenaires désœuvrés en hiver et entre les conflits.
Autres sources de conflits :
Durant la Fronde et surtout les guerres de religion, la région fut ravagée par les rivalités entre le prince protestant de Sedan et ses seigneurs locaux alliés d’une part et le comte de Saint-Paul, ligueur catholique sanguinaire, gouverneur de la place forte de Mézières, d’autre part. Etrépigny (3) avec son seigneur protestant, situé juste entre les deux partis en fit les frais. Etrépigny fut ravagé, Balaives au 2/3 incendié et pillé tout comme Flize, l’abbaye d’Elan complètement pillée…
Toutes ces guerres et conflits (5) ont marqué énormément la population ardennaise, tant sur sa mémoire collective avec ses peurs répétées que sur sa précarité de vie. C’est toute une population misérable que côtoie journellement Meslier (6).
Une région où il devrait faire bon vivre
Et pourtant, cette région des crêtes préardennaises est une région où l’on pourrait y vivre agréablement, Etrépigny, Balaives, Mazerny y sont de petits villages d’une centaine d’habitants vivant d’agriculture, élevage, tissage, bûcheronnage… L’industrie commence à se développer à Sedan et dans les gros bourgs avec des manufactures de tissage et des forges dont celles de l’abbaye d’Elan à Boutancourt grâce aux mines de fer de la région dont celles de Butz où Meslier fera de nombreux remplacements…
Mais les impositions sont là : grosses dîmes qu’il faut payer au curé et à l’abbaye, petites dîmes au curé, redevances et corvées au seigneur, taxes, impôts et redevances au roi…
Sans compter les intempéries, sécheresses, étés pluvieux, grands froids de cette période appelée « petit âge glaciaire ». Hiver très rigoureux en 1693-1694, 1,5 à 2 millions de morts en France, en 1709, la Seine, la Meuse, le Rhin sont entièrement gelés, les cultures soufrent des froids tardifs, des étés très pluvieux. De grosses difficultés d’approvisionnement de grains, des famines se déclenchent… et les épidémies… C’est la misère noire certaines années.
Meslier a vécu tout cela. Sa philosophie sociale en a résulté.
(1) La Meuse servait de frontière depuis le traité de Meerssen en 970 entre la Francie occidentale et la Lotharingie qui par la suite fut démantelée et devint, en partie, duché de Bourgogne et enfin pour sa partie nord, duché de Lorraine. Les prévôtés d’Yvois Montmédy et Chauvency avaient été réunies à la France en 1659 au traité des Pyrénées. Louis XIV annexe en 1681 le comté de Chiny (également en rive droite de la Meuse), mais devra le rendre à l’Espagne en 1697 lors du traité de Ryswick. En 1714, au traité de Rastatt, les Pays-Bas espagnols deviennent possession de l’empire d’Autriche.
(2) Bataille de Rocroi du 19 mai 1643, plus de 50 000 hommes en présence, plus de 10 000 tués 7 000 prisonniers, toute la région de Rocroi pillée, saccagée…
(3) L’évêché de Reims empiétait, au nord de la frontière française, en territoire des Pays-Bas espagnols jusqu’à la rivière Semoy. En 169 ? Gespunsart sera attaqué deux fois par les Impériaux 1705 et 1710 faisant 6 morts et des prisonniers maltraités, dont le curé Spensa, envoyés à Hui, le village pillé et 47 maisons brûlées.
(4) Guerre de la ligue d’Augsbourg de 1689 à 1697 – guerre de succession d’Espagne de 1701 à 1714. Meslier aura connu 21 années de guerre au cours de ses 40 années de sacerdoce à Etrépigny et 30 au cours de sa vie.
(5) Gespunsart à 25 km d’Etrépigny sera attaqué deux fois par les Impériaux: en 1705 et en 1710 où il y aura 6 morts, des prisonniers dont le curé Stensa envoyés à Hui et maltraités, le village pillé et 47 maisons brûlées.
(6) Etrépigny se trouve à 10 km de Mézières et à 10 km de Sedan, à 2 km de Flize (village des Pays-Bas espagnols puis autrichien jusqu’en 1769) sur la Meuse. Son seigneur, de 1661 à 1678, Jean Ernest de Terwel, est protestant. Militaire prussien au service de Louis XIV, est récompensé à la retraite, Il obtient la seigneurie d’Etrépigny et est nommé inspecteur pour la Champagne et la Bourgogne en vue de réformer l’assiette de l’impôt. Il est l’auteur de nombreuses notices cadastrales très détaillées montrant la pauvreté de la région. Sa femme, Marie de Conquérant, lui succède jusqu’en 1698.
Quelques conflits à la frontière ardennaise : – 1590 → 600 ligueurs du comte de Saint Paul sont massacrés à Boulzicourt par le comte de Rethel, Louis de Gonzague. De Saint-Paul par représailles lui prend son château d’Omont – 1591 → Henry IV reprend le château d’Omont aux ligueurs, le fait raser et envoie ses lansquenets piller l’abbaye du Mont-Dieu – 1592 → Bataille de Nouvion, les prisonniers sont noyés sur ordre du ligueur, le comte de Saint-Paul – 1599 → Flize défendu par le seigneur d’Yvernaumont est pillé par le ligueur, le comte de Saint-Paul – 1641→ Bataille de la Marfée victoire du prince de Sedan allié au Espagnols sur Richelieu, Les troupes sedanaises (6 000 mercenaires) bivouaquent à Flize et ravagent Etrépigny, Boutancourt, l’abbaye d’Elan en guise de solde – 1642 → Maubert-Fontaine rançonné et brûlé par les Impériaux – 1643 bataille de Rocroi (12 000 tués) tous les environs sont dévastés – 1650 → Siège durant 6 semaines et prise de Mouzon –1653 → prise du château de Linchamp par Condé – 1653→ Château-Regnault incendié par les Impériaux et Espagnols – 1653 → Prise de Mouzon par Turenne et du château de Linchamp – 1657 → l’armée de Mazarin et Louis XIV stationne à la Cassine – 1659 → Les Espagnols ruinent le pays de Linchamp – 1705 et 1710 → coup de mains de 150 Impériaux à Gespunsart – 1708, 1709, 1711 → passages de troupes pour aller attaquer Lille, Mons et Denain – 1711 → Espagnols et Hollandais attaquent Mouzon –
Y. ANCELIN
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