L’homme

 

Meslier est né le 15 juin 1664, sous le règne de Louis XIV. Après avoir été formé au séminaire de Reims, il obtient en 1689 et gardera toute sa vie la cure d’Étrépigny (où il réside) et celle de Balaives, petits village des Ardennes françaises, de cent cinquante à deux cents habitants, situés à une dizaine de kilomètres au sud-est de Charleville-Mézières et à une quinzaine à l’ouest de Sedan.

À sa mort au début de l’été 1729, il laisse, rédigé quatre fois au moins par ses soins exclusifs, ce Mémoire longtemps connu sous le nom de « Testament » et que certains persistent encore aujourd’hui à nommer tel. La rédaction finale des exemplaires du Mémoire a dû se faire après 1723.

Meslier se lance seul dans cette entreprise gigantesque : dénoncer, sous sa seule plume, les causes et les raisons de la tyrannie des puissants et de l’imposture religieuse. Il s’assigne là une mission qu’il mènera à bien, et en se sentant le devoir de la mener à bien. Il le dit dans la lettre qu’il laisse aux « curés de son voisinage » : «J’étais bien aise de vous dire tout ceci avant de mourir, et je ne devais moins faire que de le dire, puisque la chose est ainsi, et que je ne vois personne qui le dise. »

Ainsi meurt-il en paix avec sa conscience, démontrant ce qu’il n’avait pu dire de son vivant, et qu’il lui avait fallu réfréner, et dans la frustration extrême encore de devoir prêcher le contraire.

Car pour le reste, Meslier s’est acquitté de ses fonctions ecclésiastiques de curé avec pondération, sans zèle et, comme il le dit lui-même en s’excusant auprès de ses paroissiens, « avec beaucoup de répugnance, et assez de négligence ».

Mais rien chez ce curé qui, exerçant ses fonctions jusqu’à ses derniers jours, s’affirme fièrement apostat dans son Mémoire, rien ne laisse, sur la forme, dans son comportement quotidien, supposer cette éruption de révolte et de subversion qui sourd.

Rien ? Pas vraiment : par deux fois au moins dans sa vie, en deux occasions qui se trouvent recensées dans les rapports de l’archevêché, Meslier laisse poindre concrètement, pratiquement, les conceptions qu’il prône tant en matière sociale qu’individuelle.

Dans le premier cas, il lui arrivera une année de prendre la défense des paysans de sa paroisse en s’opposant ouvertement au seigneur local auquel il refusait par ailleurs les privilèges d’usage dans son église. Dans le second, il vivra en deux occasions, à vingt ans d’intervalle, outrepassant les défenses qui lui sont faites, avec une jeune servante qu’il dira invariablement être l’une comme l’autre une « cousine ».

On sait aussi que, dans sa vie quotidienne, Meslier mettait autant qu’il le pouvait ses conceptions sociales en pratique : il ne demandait pas, par exemple, à être rétribué pour les offices particuliers qu’il célébrait pour les pauvres et ne faisait pas payer les bancs de l’église à ses paroissiens.

Mais a priori, rien ne prédisposait Jean Meslier à trouver une place dans l’histoire universelle des idées politiques et philosophiques. Mais le Mémoire qu’il lègue à sa mort en fait un penseur de tout premier plan. C’est lui qui, des profondeurs paysannes de l’Ancien Régime, s’attelle le premier à démontrer, en profondeur et en détails, que Dieu n’est pas et qu’il ne peut pas être. Il le fait en construisant une pensée cohérente et complète du monde physique et du monde social, du fondement de la nature matérielle et de la destinée de l’humanité.

S. DERUETTE                                               

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