Le mémoire des pensées et sentiments

Le Mémoire dans lequel Meslier rassemble ses démonstrations est un texte volumineux : douze cents cents pages lorsqu’on l’a imprimé en 1970-1972.

Contrairement à ce que l’on a dit parfois, c’est une œuvre très structurée. Elle se compose de huit « preuves » quantitativement inégales que l’on peut regrouper en trois parties clairement distinctes.

La première de celles-ci comprend cinq « preuves » principalement centrées sur la critique radicale et fouillée du christianisme, tandis que la dernière est formées des deux volumineuses septièmes et huitièmes preuves consacrées à la construction du matérialisme athée mesliériste. Enchâssée entre ces deux parties, la sixième preuve forme une partie à elle seule, celle de la critique sociale communiste, plus réduite quantitativement, mais évoquée dès l’« avant-propos » et rappelée avec force dans la « conclusion » de l’ouvrage.

Esquissé à grands traits, le contenu du Mémoire se présente comme suit :

  • Dès son Avant-propos, Meslier expose le but de son texte et met en évidence le lien unissant intimement pouvoir et religion.
  • Meslier établit, dans la première preuve, qu’elles sont des inventions humaines en mettant l’accent sur la multiplicité des religions qui se contredisent entre elles.
  • Dans la deuxième preuve, il montre l’inanité d’une foi fondée sur l’existence des miracles, entre autres, sur l’imposture de l’incarnation chrétienne, met en évidence les contradictions des Évangiles.
  • Il dénonce dans la troisième preuve les visions et révélations divines comme des fables trompeuses, les sacrifices bibliques d’animaux comme des pratiques barbares et combien est aberrant celui du Christ.
  • Il expose dans la quatrième preuve en quoi les prétendues prophéties de l’Ancien et du Nouveau Testament ne s’étant aucunement réalisées, plaident contre l’existence de Dieu.
  • Dans la cinquième preuve, il insiste sur les erreurs du christianisme. Erreurs de « doctrine » : la reconnaissance de trois dieux en un seul qui en fait, non le monothéisme revendiqué, mais un trithéisme ; l’idolâtrie – celle surtout des hosties, ces « dieux de pâte et de farine » – et la toute-puissance d’un Dieu pourtant insatisfait et colérique. Erreurs de « morale » ensuite, celle qui, exaltant la souffrance et en condamnant le plaisir, voit le bien dans le mal et le mal dans le bien ; celle qui soutient et bénit les puissants tout en prônant aux pauvres la résignation.
  • La sixième preuve, celle de sa critique sociale, est aussi l’annonce de son programme révolutionnaire. Revenant sur sa dénonciation du soutien que l’Église chrétienne offre aux possédants, Meslier se livre à une critique implacable de la noblesse, de la monarchie, du clergé, de l’ordre social de l’Ancien Régime et de l’inégalité sociale causée par l’appropriation privée, mais aussi d’autres injustices comme celle de l’indissolubilité des mariages.
  • Avec sa septième preuve, Meslier élabore son imposante théorie matérialiste de la vie et du monde. Tout particulièrement, au travers d’une critique serrée des arguments des cartésiens chrétiens que sont Fénelon et Malebranche, il démontre que le temps et l’espace ne peuvent avoir été créés ni avoir de fin, que la matière aussi est incréée et a d’elle-même son propre mouvement. Il met également en évidence l’existence d’imperfections et du mal qui ne peuvent être attribués à un Dieu qui serait tout-puissant et infiniment bon.
  • Cette construction de son matérialisme, Meslier la poursuit dans la huitième preuve consacrée à l’élaboration d’une théorie anticartésienne de la pensée et de l’« âme matérielle » conçue comme des « modifications » de la matière, notamment en s’opposant à l’identification cartésienne de la matière à l’étendue et à sa théorie des « animaux-machines ». 
  • Résumant dans sa conclusion la portée et la signification de son Mémoire, il appelle au soulèvement et expose son projet et son programme révolutionnaire pour cette « si noble, si généreuse, si importante et si glorieuse entreprise ».

S. DERUETTE

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